Reconstitution. Le jour où Hassan II est mort
Ce vendredi 23 juillet 1999 à 15h, la nouvelle frappe les Marocains comme la foudre. Au palais royal, on “savait” depuis le début de la matinée. TelQuel reconstitue, heure par heure, cette journée historique.
Nuit du jeudi 22 au vendredi 23 juillet 1999. Assis dans une boîte rbatie, des membres de la famille royale quittent précipitamment l’espace VIP après avoir reçu un coup de fil. Au même moment, à Paris,
Moulay Hicham est réveillé au milieu de la nuit par la sonnerie de son téléphone. A l’autre bout de la ligne, son cousin, le prince héritier Sidi Mohammed. Hassan II vient d’avoir un malaise, Moulay Hicham doit rentrer immédiatement au Maroc. Le roi a ressenti un trouble du rythme cardiaque, il est alité à la clinique royale, sise au palais de Rabat, mais on envisage de le transférer en France ou en Suisse à bord d’un avion médicalisé. L’aube pointe le bout de son nez à Rabat et Paris. à cette heure matinale, le malaise de Hassan II est un secret partagé par peu de personnes : la famille et les proches du Palais. Pour sa part, Sidi Mohammed n’a téléphoné qu’à Abderrahmane Youssoufi, Premier ministre, et Moulay Hicham, son cousin.
Vers 7 heures du matin, le téléphone du prince sonne à nouveau. C’est encore Sidi Mohammed mais avec de bonnes nouvelles cette fois. L’état de santé de Hassan II n’inspire plus d’inquiétude, il s’est même entretenu avec ses fils et ses médecins. La présence de Moulay Hicham au Maroc n’est donc plus nécessaire.
L’espoir sera de courte durée. Le neveu du roi reçoit un nouveau coup de fil en fin de matinée lui annonçant que Hassan II est agonisant. Le roi, qui a sombré dans le coma, vient d’être transféré à l’hôpital Avicenne de Rabat. Il n’est pas encore midi et Sidi Mohammed, au chevet de son père, sait qu’il n’y a plus de chances de le sauver. “Il ne restait qu’à prier, m’a dit un membre de la famille royale”, se souvient un proche du sérail, accouru parmi les premiers à l’hôpital Avicenne. La famille se prépare au deuil et l’annonce aux cercles proches qui ont eu vent de l’hospitalisation de Hassan II. “Le bruit a couru dans la famille assez vite. Je suis arrivé vers 13h30 à l’hôpital pour en savoir plus. Mohamed Cherkaoui, le mari de Lalla Malika, m’a dit que c’était fini”, se souvient le secrétaire général du PPS, Ismaïl Alaoui. “Les gens présents étaient calmes et sereins”, confie-t-il. La famille du roi se prépare au deuil. Les Marocains aussi.
Une annonce différée:
A 15 heures, l’AFP annonce que “le roi du Maroc, Hassan II, serait mort, selon une source proche du Palais”. Plusieurs télévisions étrangères en font de même. Une simple phrase, un “lead” dans le jargon journalistique, encore au conditionnel, mais qui frappe de plein fouet les Marocains branchés à la parabole. Avec un temps de retard, c’est le branle-bas de combat à la TVM. Les journalistes en congé sont rappelés d’urgence. “Beaucoup avaient enfilé des vestes noires”, se souvient un membre de la rue Brihi. Le siège de la TVM se teinte aussi de kaki. Lieu stratégique, il est encerclé par les militaires mis en état d’alerte à travers tout le Maroc. On coupe les lignes téléphoniques de la TVM, les journalistes sont interdits de sortir du bâtiment, l’info de la mort de Hassan II ne doit pas s’ébruiter. Il faut préparer le terrain tout d’abord.
Hassan II rend l’âme aux environs de 16 heures, mais ce n’est qu’à 17 heures que la première chaîne interrompt ses programmes pour diffuser du Coran. Du côté de 2M, par contre, les programmes suivent leur cours : “Nous avons fait en vain le siège du bureau de Larbi Belarbi (NDLR : directeur général de 2M) pour qu’il arrête les programmes. Il ne voulait prendre aucune initiative tant qu’il n’en avait pas reçu l’ordre”, raconte un journaliste de la deuxième chaîne. Même si 2M est aux abonnés absents, la diffusion du Coran par la TVM surprend les téléspectateurs, qui s’interrogent, du Marocain lambda au chef de parti : “J’ai appelé tous les cadres du PJD :
(Abdelilah Benkirane, Lahcen Daoudi, Mustapha Ramid). Nous sommes tous allés à la pêche aux nouvelles”, se souvient Saâd Eddine El Othmani, l’ancien chef du parti islamiste, conscient que les versets télévisés annonçaient à leur manière la mort de Hassan II. “J’étais inquiet car il n’avait pas encore achevé le processus de transition démocratique”, contextualise El Othmani.
Peu avant 18 heures, les deux gouverneurs de la TVM, Mohamed Issari et Mohamed Tricha, traversent un couloir de la chaîne, escortés par deux gradés de l’armée dont l’un a une cassette sous le bras. Sur la précieuse bande, le premier discours de Sidi Mohammed en tant que roi, qu’on a filmé un peu plus tôt au palais royal. “Venez vivre en régie ce moment historique”, lance le gouverneur Issari à un jeune journaliste stagiaire. On a convoqué Mustapha Alaoui qui n'était pas de service ce jour-là. Il fait les cent pas dans le couloir, le visage trempé de larmes, avant d’aller se faire maquiller.
Orphelins de Hassan II:
Aux alentours de 20 heures, Mustapha Alaoui prononce à l’antenne, en pleurant, la phrase officielle, habituelle du temps des discours de Hassan II : “Jalalatou Al Malik Youkhatiboukoum”. Littéralement : “Sa Majesté le roi s'adresse à vous”.
Les images, sur l'écran, montrent “Mohammed Ben Hassan” annonçant le décès de son père, Hassan II, 17ème souverain de la dynastie alaouite, qui s’est éteint après avoir régné 38 ans. C’est la stupeur et la consternation chez les Marocains, qui perdent aussi un “pater familias” qu’on pensait immortel. “Un garçon de café m’a susurré à l’oreille “l’maâllem mat”. Le roi était mort, pourtant il en avait encore peur”, se souvient un étudiant. L’incrédulité n’est pas que l’apanage des Marocains de la rue. Elle habite aussi des intellectuels éclairés, à l’instar d’un Abdellah Laroui : “Nous voyions tous que Hassan II était malade, nous savions que des bruits couraient régulièrement à l’étranger sur sa mort imminente (…) Nous nous étions habitués à ses traits tirés, à sa démarche hésitante, à ses absences répétées. L’annonce de sa mort nous a finalement tous pris au dépourvu”, écrit-il quelques années plus tard dans Le Maroc et Hassan II.
Pourtant, la longue litanie du Coran avait préparé les esprits à la nouvelle fatale. De nombreux magasins avaient baissé leurs rideaux, tandis que d’autres étaient pris d’assaut : “Mon père m’a envoyé faire des courses en urgence à l’épicerie. Quand j’y suis arrivé, c’était le b….. Tout le monde prenait ce qu’il pouvait. Quant à moi, j’ai acheté 12 bouteilles de Coca-Cola car je ne peux pas vivre sans”, se remémore un témoin, adolescent à l’époque. Comme des millions de Marocains, il se souvient parfaitement où il était et ce qu’il faisait ce jour-là. Les gens sortent en masse, l’air hagard pour certains, agité pour d’autres : A Mohammedia, simple exemple, une foule de jeunes dévale l’artère principale au cri de “Bi-roh bi-dam, nous te vengerons Hassan II”. Paraphrase irréfléchie d’un slogan initialement créé pour Saddam Hussein, ou inquiétant révélateur de troubles à venir ? Une ambiance étrange, presque irréelle, imprègne en tout cas les rues d’une peur irrationnelle. On redoute l’anarchie qui, dans l’esprit des Marocains, devrait obligatoirement suivre la disparition de Hassan II. Il n’en fut rien, la succession s’était réglée sans heurts quelques heures plus tôt, dans les arcanes du palais de Rabat.
Passage de témoin
A 18 heures, dans l’enceinte du palais royal, on croise le sérail habituel entourant le futur roi et sa famille, au grand complet. Groggy, le conseiller royal André Azoulay vit le déroulement des évènements dans un état second, accoudé contre une colonne du palais pendant plusieurs heures. Cependant, il remarque une présence inhabituelle, celle du docteur Abdelkrim Khatib, fondateur du PJD, absent de la Cour depuis plusieurs années. L’homme a été appelé à la rescousse par le prince héritier, en tant que “sage autorisé”, selon la formule d’un des témoins. Arrivé au Maroc aux alentours de 19h30, Moulay Hicham rejoint dans la foulée son cousin Sidi Mohammed : c’est sa première apparition officielle au palais depuis 1995. Il voyait jusque-là son oncle toujours en privé, discrètement. “C’était un enterrement familial similaire à ceux que vivent tous les Marocains”, confie un membre de la famille royale. Saâd Eddine El Othmani, venu signer le livre de condoléances, décrit “une ambiance de recueillement. Les chefs de parti présents se sont salués, mais se parlaient peu”.
Un deuil “normal”, sauf qu’en coulisses, les cartes sont redistribuées. Habitué à mener le jeu, Driss Basri est expulsé du terrain, quasiment séquestré dans une pièce du palais, sous la surveillance des généraux Housni Benslimane et Arroub, à quelques encablures de la dépouille de Hassan II, son mentor, qui a été transportée depuis l’hôpital Avicenne. Entendant les cris du ministre de l’Intérieur, Moulay Hicham pousse la porte de la pièce et découvre un Driss Basri empêché de sortir par les deux généraux, qui le maintiennent rivé à sa chaise. Moulay Hicham rappelle les deux gradés à l’ordre, leur demandant de respecter le deuil familial. Sous l’œil des généraux, subitement sans voix, Driss Basri quitte la pièce en s’agrippant littéralement au bras du neveu de Hassan II.
Le super-ministre de l’Intérieur n’est qu’un garde-chiourme pour Sidi Mohammed, un flic qui lui a pourri sa jeunesse en rendant compte de tous ses faits et gestes à son père. Le sort de Si Driss est scellé : “Juste après l’annonce de la mort de Hassan II, une commission nationale a été créée pour organiser les obsèques. Pour la première fois, Driss Basri, même s’il dirigeait toujours ‘la mère de tous les ministères’, était en retrait”, se souvient Larbi Messari, ministre de l’Information dans le gouvernement de l’époque.
Membres de cette commission, un triumvirat composé du général Housni Benslimane pour le volet sécuritaire, le directeur du protocole royal Abdelhak Lemrini, en charge d’inviter les chefs d’Etats étrangers et, last but not least au vu des circonstances, le ministre des Affaires islamiques Abdelkbir M'daghri Alaoui. Au fait des arcanes juridiques en matière de succession royale, il se retrouve propulsé MC de la bey’a, un acte d’allégeance qu’il écrit dans l’urgence.
Le roi est mort, vive le roi
A 22h30, tout est fin prêt, la télévision marocaine peut retransmettre la cérémonie d’allégeance au nouveau roi. “Mohammed Ben Hassan, comme on l’appelait encore, a gardé son sang-froid. On sentait qu’il reportait sa douleur pour plus tard”, commente Ismaïl Alaoui, ministre de l’Education nationale à l’époque. Les émotions du nouveau roi sont scrutées, ses premiers actes aussi, chacun cherchant à déceler des signes de changement par rapport à la façon de régner de son père. Le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi signant la bey’a juste après la famille royale ? Il n’en fallait pas plus pour ouvrir la porte aux interprétations : “Plusieurs observateurs ont souligné qu’on était en présence d’un signal fort qui restituait son rang à la primature”, écrit Mohamed Tozy dans Monarchie et islam politique au Maroc.
En fait de changement, la bey’a, taillée sur mesure pour Mohammed VI, installe le règne dans une continuité, sans notes discordantes dans la partition. Plus tôt dans la journée, lors d’un conseil familial présidé par Sidi Mohammed, Moulay Hicham a pourtant demandé que l’on supprime le baise-main. Le nouveau roi décide de le maintenir. Le “prince rouge”, comme on le surnomme à l’époque pour ses positions progressistes, s’érige en mouche du coche d’un régime pas encore prêt à prendre des libertés avec les coutumes. Il critique ainsi la participation des militaires à la cérémonie de la bey’a. Selon lui, leur présence consolide la place centrale qu’ils occupent dans les institutions du royaume. Rien n’y fera, la cérémonie d’allégeance se déroulera comme l’a voulu Sidi Mohammed.
Moulay Hicham décide tout de même de marquer le coup en y assistant en costume, une manière de se distinguer au milieu des jellabas blanches des autres signataires. Il s’abstient aussi d’embrasser la main de son cousin. Ironie de l’Histoire, les militaires signeront l’acte d’allégeance avec un stylo emprunté à Moulay Hicham, les organisateurs de la bey’a ayant oublié d’en fournir un. En fin de soirée, Sidi Mohammed veut passer la nuit dans sa résidence des Sablons. Son cousin cherche à l’en dissuader car, selon lui, en tant que nouveau roi, Sidi Mohammed doit marquer le coup et dormir au palais. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Sidi Mohammed, de plus en plus agacé par l’interventionnisme de son cousin, trop actif à son goût en ce jour de deuil, a une prise de bec avec Moulay Hicham devant une assistance ébahie. Mais il décide finalement de passer la nuit dans l’enceinte royale.
Le lendemain, Mohammed VI sort à bord de sa Mercedes du palais royal par Bab Soufara. Il veut saluer les gens qui affluent à l’extérieur depuis la veille. C’est le premier bain de foule du nouveau roi, au milieu de Marocains venu pleurer son père et acclamer son successeur…
Obsèques de Hassan II. Chronique du jour d’après
Les chefs d’Etat des plus grandes puissances ont accompagné le roi défunt jusqu’à sa dernière demeure. A pied, suant sous un soleil de plomb, au milieu d’une sécurité dépassée…
Le 25 juillet 1999, Rabat est sous un déluge humain. 1 million de Marocains jalonnent le parcours emprunté par le cortège funèbre (un autre million ayant été bloqué par l’armée aux portes de la capitale, saturée), brandissant pour certains des portraits du souverain défunt, arborant la photo de Mohammed VI pour d’autres. “C’était Rabat ville ouverte. Toute rationalité avait disparu, il régnait une capillarité nerveuse, une communion de sentiments avec la foule”, commente le conseiller royal André Azoulay. “Les funérailles de Hassan II ont été l’une des trois plus importantes manifestations populaires de masse de ces cinquante dernières années, avec le retour d’exil de Mohammed V et la Marche Verte”, analyse pour sa part l’ex-ministre de la Communication Larbi Messari. En sueur, rôtis par le soleil de juillet, les puissants de ce monde suivent sur plusieurs kilomètres le cortège funèbre, dans un dernier hommage à Hassan II. Ils découvrent, surpris, “l’hystérie collective, sincère et contagieuse”, comme ont été décrites les réactions de la foule à l’époque. “A un moment, il n’y avait plus aucun élément humain ou barrière pour protéger de manière efficace des gens qui sont, en temps ordinaire, les mieux gardés du monde”, se souvient André Azoulay. Confrontés à cette marée humaine, les services de sécurité américains en prennent leur partie et acceptent de faire des entorses à leurs règles très rigides habituellement. Plus tôt dans la journée, la garde rapprochée de Bill Clinton lui a conseillé de porter un gilet pare-balles, avant de prendre part à la procession. “Monsieur le président, si c’est comme ça, il vaut mieux rester à l’hôtel”, intervient un membre de la famille royale. Clinton cède et fait même une croix sur son véhicule blindé. “J’étais en tête du cortège parmi les officiels. J’ai vu Clinton rejeter les conseils de son service d’ordre, qui souhaitait le voir rejoindre le mausolée en voiture”, se souvient Larbi Messari. “Le roi aurait voulu que je fasse ça, alors je le fais”, déclare Clinton. Témoin de la scène, Jacques Chirac décide également de renoncer à sa voiture pour marcher aux côtés du président américain. Suivre la procession à pied, “c’était une marque de respect”, confiera plus tard Clinton à des journalistes américains. Nous sommes en 1999, deux ans avant le 11 septembre 2001 et le terrorisme new âge du 21ème siècle, ces marques de respect sont encore possibles.
Sus au protocole
Venue en force, la délégation israélienne donne des sueurs froides aux services de sécurité marocains. Sur son passage, Shimon Peres entend des “Tbarkallah Shimon” (Bravo Shimon), lancés par la foule. En réponse à ces encouragements, l’ex-Premier ministre israélien veut aller serrer la main des gens qui l’encouragent. La situation est chaotique, les bousculades nombreuses : “Ahmed Lahlimi (USFP, à l’époque numéro 2 du gouvernement d’alternance) et moi-même avons du le retenir pendant tout le parcours. On a formé autour de lui un cordon de sécurité improvisé”, confie Ismaïl Alaoui, numéro 1 du PPS.
Le Premier ministre israélien, Ehud Barak, est beaucoup moins à la fête que Shimon Peres. Nerveux, il scrute à droite et à gauche, conscient que son service d’ordre personnel est dépassé par les évènements. Son regard tombe sur un photographe perché en surplomb du mausolée Mohammed V. Une position inquiétante : “Les services de sécurité, affolés, ont eu un échange téléphonique rapide avant de me déloger. On m’a demandé de disparaître immédiatement”, confie le photographe. Autour de Mohammed VI, la crainte plane aussi, tout le monde surveille tout le monde. Un policier en civil, placé 4 rangs derrière le nouveau roi, est évacué manu militari, personne ne l’ayant reconnu.
La journée s’achève pour les chefs d’Etats étrangers comme elle avait commencé. A la bonne franquette. A l’intérieur du mausolée Mohammed V, les officiels non musulmans, ne pouvant participer à l’inhumation de Hassan II, se tassent dans une pièce adjacente, debout pour la très grande majorité, faute de chaises. “Vu son grand âge, j’ai proposé l’un des rares sièges à la mère de Hillary Clinton. Le Premier ministre d’un pays européen est venu se plaindre. Selon lui, cette chaise lui revenait de droit pour des questions de préséance”, confie un proche du Palais.
Pendant ce temps, indifférent désormais à ces questions de protocole, Hassan II est enterré dans un modeste linceul…
23 Juillet 1999. Chronique d’une journée historique
2h. Le prince Moulay Hicham reçoit un coup de téléphone alors qu’il se trouve dans sa résidence parisienne. A l’autre bout du fil, le prince héritier Sidi Mohammed le prévient que Hassan II vient d’avoir un malaise. Le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi est mis au courant au même moment.
7h. Nouvel appel du prince héritier à son cousin Moulay Hicham. Il lui annonce que le roi “va mieux”.
12h. Hassan II a sombré dans le coma. Les médecins annoncent au futur Mohammed VI, au chevet de son père, qu’il n’y a plus rien à faire pour le sauver.
13h30. La nouvelle de l’hospitalisation du monarque se répand parmi la famille royale et ses proches, tout le monde accourt à l’hôpital Avicenne.
15h. Une dépêche de l’AFP annonce que le roi du Maroc “serait mort”. La nouvelle est reprise par de nombreuses télévisions étrangères. Toutes les forces armées du royaume se mettent en état d’alerte maximale. Le siège de la TVM est encerclé par l’armée, et ses lignes téléphoniques sont coupées.
16h. Hassan II rend l’âme. La famille royale se prépare au deuil.
17h. La TVM interrompt ses programmes pour diffuser du Coran
en continu.
18h. La cassette vidéo sur laquelle le prince héritier avait enregistré, quelques minutes auparavant, son premier discours, arrive sous bonne escorte au siège de la TVM.
19h30. Moulay Hicham rejoint le palais royal où il n’avait plus mis les pieds depuis 1995.
20h. Diffusion du discours de Sidi
Mohammed annonçant à la nation le décès de son père.
Dans la soirée. Driss Basri est séquestré, pendant quelques heures, dans une pièce du palais royal, sous la garde des généraux Benslimane et Arroub. C’est sur intervention de Moulay Hicham qu’il est “libéré”.
22h30. La télévision retransmet la cérémonie d’allégeance au nouveau roi. Mohammed VI devient le 18ème souverain de la dynastie alaouite.
Le lendemain, milieu de matinée. Première sortie et premier bain de foule du nouveau roi, sur le parvis du palais de Rabat. Une nouvelle ère commence…
Santé du roi. Le malade pas imaginaire
“Notre peuple, comme nous-mêmes, est foudroyé par la stupeur. Personne ne se doutait que nous allions vivre aussi prématurément cet instant”, a déclaré le Premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, à sa sortie d’un Conseil de gouvernement tenu le lendemain du décès de Hassan II. L’émotion dans la voix du patron de l’USFP ne cache pas pour autant le mensonge. Le roi était mourant, nul ne l’ignorait. Quelques jours plus tôt, le père de Mohammed VI avait exhibé à Paris sa mine défaite et son teint verdâtre devant les caméras du monde entier, lors du défilé du 14 juillet dont il était l’invité d’honneur. Une apparition qui laissait présager le pire. Gravement malade depuis des années, Hassan II s’était pourtant toujours efforcé de garder le secret autour de son état de santé. En 1995, remis sur pied après une hospitalisation de plusieurs jours à New York où il devait prendre la parole à l’ONU, le monarque se montre comme d’habitude rassurant, en déclarant à Paris Match : “Jugez-en vous-même. Je suis en parfaite forme (…) L’affection respiratoire dont j’ai souffert est aussi une manifestation de la négligence dont j’ai peut-être fait preuve (…) Je suis assez têtu et j’aime beaucoup faire du sport, notamment nager dans ma piscine à n’importe quelle heure”. Du pur Hassan II ! Mais alors, de quoi souffrait-il exactement ? “Il a vécu pendant plusieurs années avec un grave problème au cœur et au muscle pulmonaire”, confie ce proche du défunt. Une maladie génétique à l’issue certaine. “Au moment où les médecins l’ont décelée, ils nous ont informés qu’il pouvait nous quitter du jour au lendemain. Combien lui restait-il à vivre ? Une semaine, un mois ou un an, personne n’en était sûr”, ajoute notre source.
Années de plomb. Condoléances et plus (si affinités)
Christine Daure, épouse de Abraham Serfaty
“Avec Abraham, nous étions dans mon village natal dans l’est de la France. Alors que nous regardions la télé, nous avons vu défiler en bas de l’écran une incrustation : “Le roi du Maroc serait mort”. Sur le coup, nous avons cru qu’il s’agissait d’une erreur. J’ai décidé de contacter un ami de l’USFP au Maroc pour en avoir le cœur net. Il m’a confirmé le décès de Hassan II : “Oui il est mort. Le pire est maintenant derrière nous”. Je suis resté scotchée, stupéfaite. C’est un peu bête à dire, mais même si on le savait malade, Hassan II était pour nous tous quelqu’un d’immortel”.
Ahmed Assid, membre de l’IRCAM
“Je venais à peine d’arriver à Fès, invité à un mariage, quand j’ai appris la nouvelle. Un vent de panique a envahi quelques hommes d’affaires et commerçants qui m’accompagnaient. Ils ont tous rebroussé chemin vers Rabat. Pour eux, la mort de Hassan II était synonyme de la fin du Maroc et de leurs affaires. Même si je n’ai pas sauté au plafond, pour ma part, c’était un soulagement, l’annonce de temps meilleurs pour la cause amazighe, qu’il avait toujours ignorée. Au-delà des Amazighs, la mort de Hassan II était une opportunité pour tous les Marocains, l’occasion enfin de passer à autre chose. Le défunt roi était un véritable blocage à la démocratisation de notre pays”.
Soukaïna Oufkir, fille du général Oufkir
“Ta mort m’a fait dessaouler. J’étais à Pigalle avec mes cousins (…) Je te savais malade, mais de là à mourir (…) Pour moi tu étais immortel. Je te pensais insubmersible. Increvable (…) Nous achetions, mes cousins et moi, des sandwichs et une canette de bière. On s’éloigne de quelques mètres. Je décapsule ma bière. Grand cri de joie. Mes cousins me tapent dans la main (…) On le sable ce champagne ? Sacrilège (…) J’ai besoin de tuer parce que le monde entier rend hommage à ton intelligence éclairée (…) Je zoome pour m’assurer qu’on lui a mis (NDLR : Hassan II) sur le dos trois cents kilos de marbre. Je m’assure une semaine durant, sur le petit écran, qu’il est bien hors d’état de nuire”.
Extrait de La vie devant moi, livre témoignage de la fille du général Oufkir.
Juifs marocains. Sanglots à Tel-Aviv
A la mort de Hassan II, les médias israéliens n’en ont plus que pour lui, consacrant au roi défunt force talk-shows et éditions spéciales. Comme dans bien d’autres pays, mais les Israéliens y ont ajouté une touche d’amour particulière liée au rôle de Hassan II dans le conflit israélo-arabe. Rappelant pour l’anecdote qu’il a eu une nourrice juive, ils dressent l’éloge d’un monarque omniprésent quand il s’agissait de mettre de l’huile dans les rouages entre Israël et ses voisins arabes. “Après la perte du roi Hussein de Jordanie au début de cette année, il est particulièrement triste d’avoir à déplorer la mort de Hassan II, un des rares amis d’Israël dans le monde arabe”, écrit le Jerusalem Post . Au-delà de ces éditos et articles, vantant un chef d’Etat et sa realpolitik, les Israéliens d’origine marocaine ont aussi exprimé leur douleur de manière épidermique, à la manière des Marocains du royaume. “Je sais que cela peut sembler ridicule, mais quand j’ai vu le présentateur de la télévision marocaine annoncer la mort du roi, j’ai éclaté en sanglots”, témoigne à l’époque un Israélien d’origine marocaine dans un quotidien local. C’est que Hassan II bénéficie de l’image de son père, Mohammed V, considéré par les juifs marocains comme leur protecteur durant la seconde guerre mondiale. Pour lui, ils ont porté le deuil pendant huit jours, comme le veut la tradition juive : “Nous ne marierons pas nos enfants et ne fêterons aucune Bar Mitzvah pour montrer notre respect et notre affection pour le roi”, déclarait un leader de la communauté juive marocaine d’Israël, après le décès de Hassan II.
Polisario. Hommage à l’ennemi
Curieusement, l’annonce du décès de Hassan II n’a pas provoqué de mouvements de liesse dans les camps de Tindouf, comme on aurait pu l’imaginer. Bien au contraire. “Il y a eu quelques cris de joie ici et là, mais l’écrasante majorité de la population civile était profondément attristée par cette nouvelle. Pendant plusieurs jours, il a régné dans les camps une atmosphère de deuil sans précédent”, raconte cet ancien de Tindouf. Comment expliquer cette réaction ? “Ce n’était pas vraiment une surprise”, répond notre source. “La plupart des Sahraouis adoraient Hassan II, qu’ils voyaient comme leur protecteur même durant les moments les plus rudes du conflit. Par contre, ils avaient une haine viscérale envers les hauts gradés marocains”, ajoute-t-il. Toujours est-t-il que cette tristesse a effrayé les dirigeants du Front Polisario. “Voir notre peuple pleurer le commandant en chef de notre ennemi nous a vraiment inquiétés”, confirme cette source au sein du mouvement indépendantiste. Pourtant, le Polisario a enterré la hache de guerre le temps des obsèques en se fendant d’une lettre de condoléances adressée au jeune Mohammed VI : Hassan II y est qualifié post mortem de “Malik Adim” (grand roi). Pendant ce temps, de l’autre côté de la frontière, les Sahraouis du Maroc vivent un chagrin identique, mais en toute discrétion. Le 25 juillet 1999, jour de l’enterrement de Hassan II, ils ne sont pas sortis dans les rues de Laâyoune, Dakhla ou Smara, contrairement aux Marocains de l’intérieur installés dans les villes du sud. Mais le cœur y était : “Chez nous, nous ne pleurons pas les morts et nous ne célébrons pas non plus de funérailles. Ce jour-là, nous étions tous enfermés chez nous, c’était notre manière à nous de faire notre deuil”, se souvient ce Sahraoui de Laâyoune.
Source: Telquel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire